
Casser l’image des métiers de la mine : des défis humains sur un chantier d’exception
VINCI est l’un des principaux constructeurs du futur plus long tunnel ferroviaire du monde. Aléas géologiques dans la traversée du massif alpin, investissements en matériels exceptionnels réalisés au cours des 2 premières années, logistique ultra-contrainte, gestion industrielle des millions de tonnes de matériaux excavés, pertes de compétences humaines dans les travaux d’excavations traditionnelles depuis une vingtaine d’année... Ce chantier présente de multiples défis techniques et logistiques, mais également humains. Rencontre avec Estelle Vinter, responsable RH sur le chantier au sein de la division Génie Civil France de VINCI Construction.
En quoi la gestion des ressources humaines joue-t-elle un rôle crucial pour le projet du TELT ?
La section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon – Turin constitue un chantier unique par son ampleur et sa complexité. Avec un coût de construction évalué à plus de 11 milliards d’euros et une durée de 10 ans, c’est l’une des plus importantes infrastructures jamais construites en Europe : le tunnel de base du Mont-Cenis, le plus long tunnel ferroviaire au monde (57,5 km) entre la vallée de la Maurienne, en France, et le val de Suse, en Italie. Au pic de l’activité, on estime qu’environ 4 000 à 5 000 personnes collaboreront sur les dix chantiers opérationnels ouverts simultanément. Cela représente d’immenses besoins en main d’œuvre. En ce qui concerne les chantiers opérationnels (Co) 6&7 dont je m’occupe – l’excavation d’un des plus importants tronçons du tunnel de base (environ 46 km de galeries) – nous n’étions qu’une vingtaine en 2021. 24 mois plus tard, nous étions déjà plus de 1 300 collaborateurs, dont 900 compagnons desquels près de 300 mineurs alors que ces compétences ont quasiment disparu. Certains des enjeux (éloignement, logement, vie sociale…) sont analogues pour mes collègues des autres chantiers opérationnels pilotés par les entreprises de VINCI (d’une part, les ouvrages souterrains et puits de ventilation au niveau de Modane et, d’autre part, la gestion et le traitement / recyclage des matériaux excavés côté français).
La problématique de perte des compétences en travaux d’excavation à l’explosif en France, est quant à elle très sensible d’autant que pour travailler simultanément sur 12 fronts H24/7J, les besoins en ressources humaines et notamment en mineurs seront très importants.
Quels défis cela représente-t-il en termes de recrutement ?
Sur certains métiers nécessitant peu de qualifications préalables, le principal défi consiste à trouver suffisamment de candidats. Le bassin d’emploi local n’est pas très étendu et déjà pratiquement épuisé : la Savoie est l’un des départements français parmi les plus dynamiques, avec un taux de chômage qui était déjà très inférieur à la moyenne nationale avant le démarrage du projet TELT (Tunnel Euralpin Lyon-Turin). Cela nous oblige à recruter partout en France et même à l’international notamment de l’autre côté des Alpes, grâce à notre partenaire au sein du groupement : le leader italien de la construction WeBuild. Mais la concurrence est rude entre recruteurs, avec des besoins de main d’œuvre pressants dans tous les chantiers de TELT déjà opérationnels, comme dans les autres chantiers majeurs en France et en Italie…
À cette question du nombre s’ajoute celle des compétences. La moitié du tunnel se creuse en méthode traditionnelle, c’est-à-dire avec des explosifs. Or cela fait longtemps qu’il n’y a pas eu de grand chantier de ce type en France : le profil de mineur – un compagnon expérimenté, doté d’une habilitation spéciale pour manipuler les explosifs – se fait rare. Nous devons travailler avec des agences spécialisées pour identifier et recruter ces talents spécifiques et avons bien entendu déployé des formations de mineurs et d’opérateurs de tous les engins spécifiques à ces travaux.
La difficulté du métier constitue-t-elle un frein au recrutement ?
Certes, le travail souterrain met face à un environnement exigeant en termes de confinement, d’humidité et de température. Mais les conditions n’ont plus rien à voir avec l’idée que l’on se fait parfois encore du métier de mineur. Une bonne partie de notre travail consiste à promouvoir nos opportunités dans les forums pour l’emploi, en cassant l’image de la mine héritée du 19e siècle ! La sécurité des équipes, en particulier, concentre énormément de moyens. Et le chantier du tunnel de base du Mont-Cenis se tient à l’avant-garde sur le sujet, avec une foule d’exigences innovantes : ventilation et climatisation des galeries pour maîtriser les températures ambiantes, mesures de gaz en permanence, outils et engins à la pointe de la technologie et géolocalisation en temps réel de tous les intervenants en galerie… Tous les compagnons, travaillent en permanence à moins d’un kilomètre d’un refuge sécurisé, alimenté en eau et en oxygène en cas d’incendie. Enfin, les travaux souterrains, ce sont surtout et avant tout des métiers d’experts et de passionnés : à la fois valorisants et très valorisés – y compris au niveau de la rémunération.
Comment s’organise le travail sur le chantier ?
Cela fait partie de nos leviers pour attirer les talents. Le chantier fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, avec trois rotations d’équipes par jour. De nombreuses organisations de travail sont mises en place sur le chantier afin de répondre aux différentes exigences contractuelles. Ainsi, les équipes travaillent aussi bien sur un rythme « 6-4 », « 4-4 », c’est-à-dire avec quatre jours de repos consécutifs qu’en « 5-2 ».
Le logement sur place est d’ailleurs un autre de nos sujets prioritaires. La dimension du chantier tend à saturer les capacités d’accueil de la vallée : nous travaillons donc activement avec les acteurs de la région pour réserver des logements.
Un projet d’hôtel de chantier est par ailleurs actuellement à l’étude avec le client et les partenaires locaux. Il permettra de proposer à nos collaborateurs des logements à cout maitrisé et fonctionnera selon nos cycles de travail, cela représente un réel atout pour mobiliser et fidéliser nos compagnons.
Quelle place occupe l’accueil et la formation des recrues dans votre dispositif RH ?
Une place centrale ! Nous sommes engagés avec le client dans la démarche « Grand Chantier », promue à la fois par l’État, la région Auvergne-Rhône-Alpes et le département de Savoie. Il s’agit d’un vaste programme d'actions d'intégration territoriale du chantier en termes de recrutement, de formation, d'accueil des travailleurs et de mobilisation des entreprises locales et régionales. Outre les sujets du logement, des transports et de la qualité de vie, un volet majeur concerne la formation à nos métiers et à notre culture de la santé et de la sécurité au travail. Nous avons par exemple conçu avec France Travail un parcours « aide-mineur », qui a déjà accueilli 7 promotions de néo-professionnels chargés de soutenir les compagnons sur les travaux préparatoires, les travaux de base, la mise en place des outils… Ces aides mineurs, grâce à leur intégration dans nos équipes de mineurs expérimentés pourront rapidement être formés et promus vers des postes de mineurs, voire de boutefeux, leurs ouvrant ainsi de réelles opportunités pour l’avenir.
De même, dans notre usine de voussoirs à La Chapelle, un autre parcours dédié s’adresse cette fois-ci plutôt aux personnes éloignées de l’emploi. Nous leur apportons les bases essentielles sur la sécurité ou la manutention, par exemple, et ça leur met le pied à l’étrier. Au final, un chantier de l’ampleur du TELT offre une opportunité unique pour faire découvrir nos métiers, changer leur image, et ainsi accueillir et former toute une nouvelle génération de compagnons.
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